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Les hasards du calendrier réunissaient ce samedi à Amiens une convergence des squatteurs et des gilets jaunes, d’un côté, une réunion des jeunes macronistes avec une ministre, de l’autre.



Rue Debray, derrière le cirque d’Amiens, une vingtaine de personnes squatte depuis mi-février un bâtiment – plutôt cossu – de l’État, inoccupé depuis deux ans. Aux murs, il est question d’un autre monde, où le logement est un droit, pas un tableau d’amortissement de prêt ; où la pénurie de travail est vue comme une chance, celle de partager du temps libre au service de son épanouissement personnel. Un café attend le visiteur, du fromage traîne sur la table. Cette table s’allonge ; des plats faits maison s’alignent. Ce midi, un groupe de Gilets jaunes rend visite aux squatteurs. La convergence des luttes ne fait pas la foule. En tout, ils finiront une trentaine, qui défileront jusqu’à la gare. La plus petite manifestation amiénoise depuis le 17 novembre. Le squat n’est pas qu’un symbole : « Les gens qui vivent ici n’ont pas d’autre logement », prévient Zeppo, du collectif La Brèche. Ce lundi à 13 h 30, le collectif a rendez-vous au tribunal d’instance en référé : « C’est quand même dingue que pour l’État, l’urgence, ce soit de nous expulser et pas de fournir un logement à ceux qui dorment dans la rue ». Les élections européennes ? On n’en parle même pas ici… La question dans toutes les bouches, c’est le nombre d’hébergements d’urgence qu’il restera quand la date fatidique du printemps s’affichera sur les calendriers.


« Muriel ! Muriel ! »


26 mai : cette échéance est en revanche dans tous les esprits, salle Dewailly, où les Jeunes avec Macron (JAM) tiennent une « réunion publique », selon leur délégué national Martin Bohmert. On lui fait remarquer que le lieu, l’heure et l’invitée d’honneur, la ministre du Travail Muriel Pénicaud, ont quand même été tenus secrets. « Si on donne tout ça, on est bloqué par une manifestation à l’entrée. Il y a une question de sécurité. On ne peut pas prendre ce risque et je le regrette », concède-t-il.

Dans la salle, environ 70 jeunes sagement enthousiastes ont participé à des ateliers de militantisme le matin et se réunissent pour une « plénière » l’après-midi. « Muriel ! Muriel ! » scandent-ils avant que la ministre n’accède à son siège, façon rock star.

Il n’y a pas de drapeau rouge et noir au mur, pas de fromage de chèvre. Les adhérents viennent des Hauts-de-France et du Benelux. Ils parlent Erasmus, vantent une Europe qui leur semble évidente « parce que moi j’ai appris l’anglais en passant un an en Irlande et l’italien en passant un an en Italie » exprime une jeune fille. Dans la capitale d’un département où quitter Péronne pour travailler à Albert tient de l’aventure intergalactique…

Mathieu Bohmert n’esquive pas le sujet : « On sait que nos adhérents sont plutôt plus urbains et plus éduqués que la moyenne. Notre défi, c’est justement d’aller chercher les autres, notamment dans les quartiers ». Muriel Pénicaud, aussi, ramène tout le monde sur terre : « Quand vous irez sur le terrain ce soir (un tractage était prévu à la cathédrale avant une soirée festive à Saint-Leu), dites-vous que vous êtes dans une région avec un fort taux d’illettrisme, à 11 % de chômage. Les jeunes que vous allez rencontrer n’ont pas tellement d’espoir ». Côté lucidité, on retiendra aussi le constat d’Anne-Claude, bretonne expatriée à Bruxelles : « Je suis de la génération sacrifiée. J’ai dû m’exiler pour travailler parce que je suis arrivé juste après la crise, je n’aurai peut-être pas de retraite et on me laisse une planète pourrie. »

Comme quoi, dans ce samedi paradoxal, la lucidité est des deux côtés. Ni révolte aveugle d’un côté (les squatteurs n’ont rien cassé et demandent un bail précaire), ni optimisme béat de l’autre. Ils partagent en revanche un engagement. C’est déjà ça : on a bien fait de les réunir.